Sus aux protestants (1585)
1585. Sous la pression de la Ligue qui contrôle de nombreuses villes du royaume, Henri III est contraint d’interdire le culte protestant. Par le traité de Nemours du 18 juillet [1], puis par l’édit de juillet [2], il révoque d’un trait de plume tous les précédents édits de pacification, supprime les places de sûreté accordées aux protestants et ordonne d'eux qu’ils fassent profession de la religion catholique, apostolique et romaine sous six mois ; en cas de refus, ils devront quitter le royaume.
La déclaration royale du 7 octobre 1585 durcit encore ces mesures : Nous avons declaré et declarons que nous voulons et entendons que tous nos sujets d’icelle nouvelle Religion ayent dedans quinze jours après la publication de ces presentes à se reduire à nostredicte Religion Catholique, et en faire profession ou, à faute de ce, sortir hors de nostredict royaume et païs de nostre obeïssance [3].
Enfin, le mandement du 18 octobre 1585 [4] ordonne la saisie des biens de tous ceux – protestants ou catholiques – qui s’opposeraient par les armes à l’application de l’édit de juillet 1585.
S’ensuit alors une impitoyable recherche de tous ceux qui sont suspectés d’être protestants, qui se diffuse partout dans le royaume jusqu’aux villages les plus reculés.
Nous en trouvons une illustration avec le procès-verbal qui suit [5], dressé par le lieutenant de la prévôté d’Auteuil, une paroisse alors rurale située à l’ouest de Paris, dont les religieux de Sainte-Geneviève-du-Mont sont les seigneurs. On note que le lieutenant, qui n’habite pas ordinairement à Auteuil [6], ne se fonde que sur de vagues ouï-dire pour forger son opinion (ilz sçavent comme je sçais estre vray) sur les deux personnes suspectes, dont il écorche d’ailleurs les noms.
De cette application si sévère du traité de Nemours, Agrippa d'Aubigné écrit, dans son Histoire universelle, qu'elle fit aller à la messe trois fois plus de reformez que n'avoit faict la Sainct Barthelemi...
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[1] Bibliothèque nationale de France, Clairambault 357, fol. 91 r°.
[2] Antoine Fontanon, Les edicts et ordonnances des Rois de France, Paris, 1611, tome IV, p. 343.
[3] Ibid., p. 345.
[4] Ibid., p. 347.
[5] Archives nationales, Y 3879, 20 octobre 1585.
[6] Ce lieutenant était aussi chargé des justices de Vanves, Grenelle et Issy, dont les religieux de Sainte-Geneviève étaient également les seigneurs.
Sur le plan paléographique, on a ici affaire à écriture sans grande difficulté, en dépit de sa cursivité. On notera l'habitude du clerc à prolonger ses e terminaux d'un trait de fuite plongeant sous la ligne d'écritures, ce qui peut parfois laisser croire à un pluriel (comme ici avec ataché).
Les c initiaux, de type fractionné cursif, ressemblent souvent à des s sinueux. Voir par exemple le mot curé, à la ligne 13 de la première page et ci-dessous :
Les abréviations sont assez nombreuses, l'une d'elles étant surprenante : le mot prevosté abrégé par contraction comme presente (ligne 2 de la première page et ci-dessous, à gauche). Plus bas, le même mot fait l'objet d'un traitement plus classique, avec un p tildé (ligne 9 de la première page et ci-dessous, à droite).
Procès-verbal du 20 octobre 1585 : transcription
« À monseigneur le prevost de Paris, salut. Nous,
Jehan Le Febvre, lieutenant en la prevosté de [biffé : Paris] Autheul
pour messieurs les religieux, abbé et couvent de Ste Geneviefve
au Mont de Paris, seigneurs haultz justiciers et grans
voyers des terres et seigneuries dudict Autheul et Passy,
suyvant les esdictz de Sa Majesté, l'un du VIIe et l'aultre du
dix huictiesme octobre dernier, verifiez en la Court de Parlement, et
suyvant certain acte de vous donné, le tout ataché
sous le contre scel de nostredicte prevosté.
« Certifie avoir faict perquision [1], esdictes terres, seigneuries et
parroisse d'Autheul, de ceulx qui ont esté ou sont reputez
avoir esté de la nouvelle Religion Pretandeuee Reformée.
Pour quoy faire, me suys enquis du curé dudict Autheul, ses
vicaires et aultres habitans des lieux, qui m'ont dict que
cy devant, ilz ont cogneu ung nommé Me Pierre de Machicot [2],
advocat, à present demeurant audict Passy, paroisse dudict
Autheul, avoir esté de la nouvelle Religion Pretandeuee
Reformée, mais qu'ilz sçavent comme je sçais estre vray
que depuys le premier esdict de Sadicte Majesté touchant ceulx
de la pretandeue nouvelle religion, ledict Machicot,
ses serviteurs et servantes, ont esté par troys divers jours
à la messe en l'eglise dudict Autheul, et ne ce sont toutesfoys
lesdictz Machicot et ses gans [3] reconciliez ne receu le corps
de Nostre Seigneur. Et sy, il y a envyron troys sepmaines
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[1] Perquisition.
[2] Il s'agit en fait de Pierre de Macheco, d'une famille possédant de vastes propriétés à Auteuil et à Passy.
[3] Gens.
ou plus que ledict Machicot ne ses gans n'ont esté à
la messe, ne soict on pour quoy, cy ce n'est pour
ce que ledict Machicot est fort caducque au moyen
de l'aage qu'il a, ou pour ce qu'il a plusieurs
uulçaires [4] aux jambes, mais que ce ne peult
empescher que les serviteurs et servantes dudict
Machicot ne vasent [5] à la messe comme ilz ont
commancé à y aller depuys ledict premier esdict de
Sa Majesté.
« Plus m'a esté dict par ledict curé, ses vicaires et plusieurs
parrocians [6] dudict lieu qu'il y a unne ferme nommé
la ferme de Bilancourt [7], qui est de la paroisse
dudict Autheul, en laquelle demeure ung nommé
Durlin [8] et quelque aultre train, qu'ilz ne sçavent
s'ilz sont de ladicte nouvelle Religion Pretandeuee
Reformée, pour ce que ilz ne sçavent comme ilz se
gouvernent en icelle ferme, qui est fort loinge [9] du
village, et pour ne avoir jamés veu ledict
Durlin en la paroisse ny aultres eglises, encores que
ledict curé s'en soict plainct publicquement en ses
predications. Aussy ilz sçavent que en ladicte
ferme il y a ung enffant qui peult estre aagé
de huict ou neuf moys pour le moings, qui n'a
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[4] Ulcères.
[5] N'aillent.
[6] Paroissiens.
[7] Billancourt.
[8] En fait, Jean François Dorlin, bourgeois de Paris, auquel la ferme de Billancourt avait été baillée, pour 29 années, par les religieux de Saint-Victor de Paris, le 14 octobre 1581.
[9] Éloignée.
encores receu baptesme. Lesquelles choses cy dessus
escriptes certifie me avoir esté ainsy dictes en faisant
ladicte perquision, laquelle jé faicte au mieux qu'il me
a esté pausible. En tesmoing de quoy jé signé le
present mon procès verbal, ce vingtiesme jour d'octobre mil
cinq cens quatre vingtz et cinq. »
Ainsi signé : J. Lefebvre, avec paraphe.
Bibliographie
-
César Pascal, "Correspondance, Les familles Macheco et Dorlin", in Bulletin historique et littéraire, Société de l'histoire du protestantisme français, Paris, 1889, tome XXXVIII, p. 103-107.
-
Emile G. Léonard, Histoire générale du protestantisme, Paris (P.U.F.), 1988, tome II.
-
Janine Garisson, Les protestants au XVIe siècle, Paris (Fayard), 1988.
-
Patrick Cabanel, Histoire des protestants en France, XVIe-XXIe siècle, Paris (Fayard), 2012.